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Parution / Groupe Liberté et Sécurité, International
Le 21 mars 2012
A distance
Le 15 mars 2012, la Cour EDH, en grande chambre, a rendu un arrêt nommé Austin et autres c. Royaume-Uni (requêtes n° 39692/09, 40713/09 et 41008/09), se prononçant, pour la première fois, sur l’application de l’article 5 de la Convention EDH à la technique de « kettling »,
qui « consiste pour la police à retenir un groupe de personnes pour des motifs d’ordre public »[1]. In casu, les requérants, une manifestante et trois passants, ont allégué la violation de leur droit à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 5 de la Convention EDH. Les requérants se sont plaints d’avoir dû rester pendant près de sept heures à l’intérieur d’un cordon de police lors d’une manifestation antimondialisation à Londres.
A la lumière de cette nouvelle question, la Cour a rappelé que la Convention est un instrument vivant, à interpréter en tenant compte des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques[2]. Selon une jurisprudence constante de la Cour EDH, pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation « concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée »[3]. La Cour rappelle qu’entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence[4].
En l’espèce, la Cour a constaté que la mesure a été imposée dans un but d’isolement et de confinement d’une foule nombreuse, dans des conditions instables et dangereuses. La manifestation devait attirer entre 500 et 1 000 manifestants violents, avec un risque réel de dommages corporels graves, voire de décès, et d’atteintes aux biens si la police ne parvenait pas à contrôler efficacement la foule. En se basant sur ces faits établis par le juge Tugendhat de la High Court, la Cour a considéré que la mise en place d’un cordon intégral était le moyen le moins intrusif et le plus efficace à utiliser dans ces circonstances. En effet, à plusieurs reprises, la police a voulu entamer un processus de libération collective, mais le comportement violent et peu coopératif d’une minorité importante, aussi bien à l’intérieur du cordon qu’aux alentours de celui-ci, l’a amenée à suspendre à chaque fois l’opération. Pourtant, la police procédait à une dispersion contrôlée de la foule, ce qui exclut l’application de toute hypothèse d’arrestation ou de détention prévues par les alinéas b et c de l’article 5.
Contrairement à la Cour, les juges dissidents[5] ont estimé que l’article 5 a été violé en l’espèce. Suivant leur argumentation, l’article 5 doit s’interpréter d’une manière qui tienne pleinement compte du contexte spécifique dans lequel les techniques en cause sont utilisées, et de l’obligation d’assurer le maintien de l’ordre et la protection du public que tant le droit national que le droit conventionnel font peser sur la police[6]. Selon eux, la mesure a été imposée aux personnes qui ne participaient en aucune manière à la manifestation. De plus, les requérants ont été confinés à l’intérieur d’une zone relativement petite, avec une liberté de mouvement très réduite. Le cordon « a été maintenu par la présence de centaines de policiers antiémeutes et les requérants dépendaient entièrement de la décision des policiers quant au moment où ils allaient pouvoir partir. En outre, ces policiers pouvaient faire usage de la force pour maintenir le cordon en place et le refus de se conformer aux instructions et restrictions imposées constituait une infraction passible de prison et pouvait donner lieu à une arrestation. Tous les requérants ont été ainsi enfermés pendant six à sept heures ».
Selon la Cour EDH, les faits de l’affaire en cause ne font ressortir aucune violation du droit à la liberté et à la sûreté. Les mesures adoptées par la police ont été justifiées par la poursuite d’un but légitime qui est la sécurité des manifestants et des passants ainsi que l’ordre public. Elle a ajouté que ces conclusions sont basées sur des « faits spécifiques et exceptionnels de l’espèce »[7] et ne portent aucune atteinte aux articles 10 ou 11 de la Convention. Ces derniers n’ont pas été invoqués par les requérants. En outre, la Cour a pris « note de la conclusion du juge de première instance selon laquelle il n’y a pas eu d’atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion des personnes retenues à l’intérieur du cordon »[8].
Rahma Bentirou-Mathlouthi
Assistante – doctorante à la Faculté de Droit de l’Université de Neuchâtel
Chargée d'enseignement à Haute Ecole de Gestion ARC - Antenne Delémont
Membre du CESICE
[1] CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, 15 mars 2012, Req. 39692/09, 40713/09, 41008/09, Rec. 2012, §52.
[2] La Cour rappelle ses interprétations évolutives dans les arrêts CEDH, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, Req. 5856/72, série A26, §31 ; CEDH, Kress c. France, 7 juin 2001, Req. 39594/98, Rec. 2001-VI, §70 ; CEDH, Bayatyan c. Arménie, 7 juillet 2011, Req. 23459/03, Rec. 2011, §102.
[3] CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, op. cit., §57.
[4] Cf. arrêts CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 avril 1976, Req. 5100/71, 5101/71, 5102/71, 5354/72, 5370/72, série A22, §59 ; CEDH, Medvedyev et autres c.France, 29 mars 2010, Req. 3394/03, Rec. 2010, §73.
[5] Opinion dissidente commune des juges Tulkens, Spielmann et Garlicki, dans l’affaire CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, 15 mars 2012, Req. 39692/09, 40713/09, 41008/09, Rec. 2012.
[6] CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, op. cit., §60.
[7] CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, op. cit., §68.
[8] CEDH, Austin et autres c. Royaume-Uni, op. cit., §68.
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