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Parution / Groupe Liberté et Sécurité, International
Le 4 mai 2012
Charles Taylor s'est fait connaître du grand public à travers son implication dans le conflit civil qui a causé la mort de plus de 50000 personnes en Sierra Léone entre 1991 et 2002. Inculpé en mars 2003 par le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone, Charles Taylor a toujours nié les accusations de crimes contre l'humanité et de violations graves du droit international qui pesaient contre lui. La chambre de première instance du Tribunal a rendu son jugement dans cette affaire le 26 avril 2012.
Jugement du Tribunal Spécial pour la Sierra Léone dans l'affaire
SCSL-03-01-PT, Procureur contre Charles Taylor
Charles Taylor : de Monrovia à La Haye
Charles Taylor a occupé la fonction de Président du Libéria du 2 août 1997 au 11 août 2003,date à laquelle il a démissionné. Il a pris les rênes du pouvoir au Libéria à la suite d'un coup d' Etat qu'il a fomenté contre le régime de Samuel Doe. Il dirigeait, alors, une milice révolutionnaire, la National Patriotic Front of Liberia (NPFL). Charles Taylor a été formé militairement et idéologiquement en Libye. C'est sans doute durant ces entrainements qu'il a rencontré le futur chef du Revolutionary United Front (RUF), Foday Sankoh. Ce dernier, en compagnie d'autres chefs de milices parfois rivales, a mené en Sierra Léone une guerre civile qui a duré plus de dix ans et a fait plus de cinquante mille morts. Le conflit est devenu célèbre pour les amputations pratiquées par les factions ainsi que par le financement de celles-ci par ce qui a depuis été appelé les « diamants du sang ». Charles Taylor était à cette époque déjà fortement soupçonné de soutenir ces factions en leur fournissant des armes et des capacités opérationnelles en échange de ces fameux diamants.
Le conflit a pris fin en 2002, date à laquelle l'ONU, en coopération avec le Gouvernement sierra léonais a mis en place le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone (TSSL)[1] chargé de juger « les personnes qui portent la plus lourde responsabilité »dans les violations du droit international commises durant le conflit sierra léonais.La question de l'inculpation par le TSSL de Charles Taylor, alors Président du Libéria, se posait alors tant au regard de la compétence du Tribunal (confrontée au principe de l'immunité pénale du chef d'Etat) qu'en termes de volonté politique.
Le premier procureur du TSSL, David Crane, a mis fin à ce suspens en adoptant le 7 mars2003 un acte d'inculpation à l'encontre de Charles Taylor. L'acte n'a été rendu public que le 4 juin de la même année. Après être parti en exil, Charles Taylor a finalement été transféré au TSSL, à Freetown le 29 mars 2006. Il a ensuite été transféré à La Haye pour des raisons de sécurité le 30 juin 2006.
Le procès de Charles Taylor a débuté le 4 juin 2007.
Charges retenues contre Charles Taylor
Le jugement de Charles Taylor a été rendu par la 2ème chambre de première instance du TSSL le 26 avril 2012.
Après avoir effectué un bref rappel des faits pertinents de l'affaire, le Tribunal a résumé les 11 chefs d'inculpation retenus contre l'accusé[2].
Charles Taylor est accusé de crimes contre l'humanité, de violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II, ainsi que d'autres violations graves du droit international humanitaire.
Raisonnement de la Cour
Le raisonnement du Tribunal a été le suivant. En premier lieu, les juges ont établi que les crimes reprochés à Charles Taylor ont bien été commis, en Sierra Léone, durant la période concernée par l'acte d'inculpation, par des combattants du RUF, de l'Armed Forces Revolutionary Council (AFRC), de l'alliance RUF/AFRC et par des combattants libériens.
Le Tribunal a ensuite cherché à déterminer le rôle de l'accusé dans le conflit sierra léonais, dans le commerce de diamants ainsi que dans le processus de paix. « Cette dernière démarche est motivée par le rôle important que Charles Taylor aurait joué, selon la partie défenderesse, dans les négociations de paix menées entre les différentes factions en Sierra Léone. A cet égard, les contacts qui auraient eu lieu entre l'accusé et ces factions n'auraient eu d'autre but que de faire avancer le processus de paix (« solely for working towards peace »)[3].
En sa qualité de Président du Libéria, Charles Taylor verrait sa responsabilité pénale engagée pour des crimes commis par des agents relevant de son autorité pleine et entière. Le Tribunal a apprécié in concreto la pertinence de ce lien d'imputabilité en examinant la structure hiérarchique des diverses factions armées ainsi que la mesure dans laquelle l'accusé avait connaissance des crimes commis en Sierra Léone. Toutefois, avant d'exposer les responsabilités retenues à l'encontre de Charles Taylor, il est important de préciser quel rôle la Cour lui a reconnu dans le conflit sierra léonais.
Il ressort du jugement que Charles Taylor a soutenu les factions armées sierra léonaise (RUF,AFRC et RUF/AFRC) en leur fournissant d'une part des armes et des munitions à de nombreuses reprises et, d'autre part un soutien moral, financier et opérationnel (facilités de communication, mise à disposition de personnel et de lieux de retraites). Il n'a cependant pas été prouvé que Charles Taylor ait eu une relation de supérieur hiérarchique vis-à-vis des principaux chefs des factions, nommément Foday Sankoh (RUF), Johnny Paul Koroma (AFRC) et Sam Bockarie (RUF/AFRC). L'accusé n'aurait en effet été consulté qu'en qualité de conseiller et de soutien moral (« gave advice and guidance »). Rappelons enfin que le Tribunal fonctionnant sous un régime mixte de droit romano-germanique et de common law, l'accusation doit apporter la preuve de la responsabilité de l'accusé au-delà du doute raisonnable (« beyond reasonable doubt »).
Etablissement de la responsabilité pénale de Charles Taylor
C'est en fonction de ces considérations que le Tribunal a rejeté la responsabilité pénale individuelle de Charles Taylor en tant que supérieur hiérarchique pour des actes commis par ses subordonnés. Il faut préciser que cette responsabilité est soumise à la condition que l'accusé ait eu connaissance des actes que ses subordonnés avaient commis ou s'apprêtaient à commettre et qu'il n'ait rien fait pour empêcher lesdits actes ou punir les responsables.
Le Tribunal s'est ensuite intéressé à l'hypothèse de la mise en jeu de la responsabilité de Charles Taylor pour entreprise criminelle commune (« joint criminal enterprise »). En l'espèce, les juges ont considéré que la preuve n'avait pas été apportée que l'accusé avait soutenu les factions armées dans un objectif planifié en commun avec ces factions.
Ils ont toutefois retenu le principe de sa responsabilité pour avoir sciemment aidé et encouragé (« aiding and abetting ») la commission des crimes commis par les factions armées en Sierra Léone. Les juges ont appuyé leurs conclusions sur plusieurs discours et communications prononcés à l'époque des faits par Charles Taylor, dans lesquels il dénonçait et condamnait les massacres perpétués en Sierra Léone par les factions à qui il fournissait ses services. Le Tribunal a également retenu que les services en question avaient eu un effet substantiel (« substantial effect ») au regard de la survenance des crimes perpétrés.
De façon plus inattendue, les juges ont retenu la responsabilité de Charles Taylor pour avoir planifié, en commun avec le leader du RUF/AFRC Sam Bockarie, des attaques menées dans le district de Kono en 1998, à Freetown entre décembre 1998 et février 1999 et à Makeni en 1998. Ces opérations, et en particulier l'attaque de Freetown, font partie des plus meurtrières ayant eu lieu durant le conflit.Rappelons que le Tribunal n'a attribué à Charles Taylor qu'un rôle de conseiller auprès des factions armées. Ces considérations ont d'ailleurs servi à rejeter, dans la suite du jugement, les responsabilités en tant que commanditaire et d'instigateur des crimes commis. La reconnaissance du rôle de planificateur de Charles Taylor vient alors préciser la relation qu'il entretenait avec les leaders des factions armées sierra léonaises et son degré d'implication dans le conflit. En deçà du commanditaire mais au delà du simple soutient matériel et moral, Charles Taylor a été perçu par les juges du TSSL comme ayant œuvré aux côtés des principales factions armés pour les massacres que celles-ci ont perpétrés.
Verdict et suites de l'affaire
Finalement, Charles Taylor a été reconnu coupable d'avoir aidé, encouragé et planifié les crimes compris dans les onze chefs d'inculpation retenus par le procureur.
Le Tribunal va dorénavant entendre les arguments des parties concernant la peine à déterminer. Les juges ont décidé que ces arguments seraient entendus lors d'une audition le 16 mai. La sentence devrait être prononcée le 30 mai.
Bien que des appels demeurent possibles de la part des deux parties, Charles Taylor est d'ores et déjà la première personne à avoir été inculpée par une juridiction internationale en tant que chef d'Etat et condamnée par celle-ci pour des faits survenus alors qu'il occupait cette position. Il s'agit d'une avancée majeure de la justice internationale pénale, avortée une première fois lors de la mort de Slobodan Milosevic avant le verdict du TPIY, et qui pourra peut-être être confirmée par la Cour Pénale Internationale dans l'affaire opposant son procureur au Président soudanais Omar Al Bashir[4]. Dans tous les cas, l'inopposabilité de l'immunité pénale des chefs d'Etat devant les juridictions internationales se trouve ici confortée par sa première application pratique.
La condamnation de Charles Taylor représente également une réussite majeure pour le TSSL. En effet, les principaux inculpés devant le Tribunal n'ont pas pu être jugés suite à leur décès ou à leur disparition[5]. Ce succès permettra ainsi peut-être à cette institution de rétablir sa légitimité en crise depuis plusieurs années et de justifier aux yeux de ses détracteurs et des Sierra Léonais la mise en place d'un dispositif aussi coûteux.
Philippe FLORY
Doctorant contractuel au CESICE
[1] Le statut du Tribunal Spécial est disponible sur le site du Tribunal à www.sc-sl.org ; une traduction a été effectuée par le Comité international de la croix rouge, disponible sur http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/605?OpenDocument.
[2] Affaire No.SCSL-03-01-PT, The prosecutor against Charles Taylor, Prosecution's second amended indictement, 29 mai 2007. L'acte d'inculpation est disponible sur http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=lrn0bAAMvYM%3d&tabid=107 ;un résumé des charges est également disponible sur http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=Mb00aVVb4Cg=&tabid=107.
[3] La Cour note d'ailleurs que Charles Taylor a effectivement eu un rôle central dans la libération des membres de la MINUSIL,l'opération onusienne de maintient de la paix, pris en otages à plusieurs reprises par les factions armées en Sierra Léone.
[4] CPI, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, affaire ICC-02/05-01/09. Les documents afférents à cette affaire sont disponibles sur http://www.icc-cpi.int/menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200205/related%20cases/icc02050109/icc02050109.
[5] Foday Sankoh et Sam Bockarie, les deux principaux leaders du RUF sont morts, le premier abattu au Libéria, le second en détention au TSSL. Johnny Paul Koroma,le leader de l'AFRC reste introuvable et est présumé mort par le TSSL. Enfin,le chef de la sécurité et de l'armée sierra léonaise régulière, également accusé de crimes contre l'humanité, est mort en détention au TSSL.
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