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Les sanctions européennes contre le régime syrien

Parution / Groupe Liberté et Sécurité, International

Le 1 juillet 2013

Les ministres des affaires étrangères des Etats membres de l’Union européenne (UE) se sont rencontrés en Conseil « Affaires étrangères » le 27 mai 2013 afin de décider de l’avenir des sanctions imposées à la Syrie depuis 2011[1]. Suite à cette conférence, une déclaration[2] a été émise et le 31 mai le Conseil a adopté une décision 2013/255/PESC prorogeant les sanctions contre le régime de Bachar el-Assad jusqu’au 1er juin 2014[3.

Les sanctions en vigueur contre la Syrie reposent sur la politique de conditionnalité démocratique de l’Union européenne. Une telle politique soumet la coopération et l’aide au développement attribué par l’UE au respect par le bénéficiaire de plusieurs critères relatifs au respect des droits de l’homme, aux conditions d’exercice de la démocratie politique et au respect de l’Etat de droit[4].

C’est dans de cadre que les ministres de l’UE ont convenu de maintenir les restrictions déjà en vigueur afin d’amener les agents du régime syrien à faire cesser la répression interne exercée contre les opposants (I). Par ailleurs, et c’est la principale innovation de cette décision, une levée de l’embargo sur les armes au profit de la rébellion armée a été décidée par les Etats membres, semblant rompre avec la stratégie suivie jusqu’alors (II).

I – La reconduction des sanctions en réponse aux violations massives des droits de l’homme

Reprenant les termes de la déclaration, la décision du Conseil impose des restrictions commerciales dans des domaines déjà visés par de précédents actes européens[5]. Les principales restrictions sont appliquées au « financement de certaines entreprises », aux « projets d’infrastructure », aux « appuis financiers aux échanges commerciaux », au secteur financier, au secteur des transports, en matière d’admission et visent le gel des fonds et des ressources économiques. Cet ensemble de sanctions ciblées imposé à la Syrie depuis 2011, assorti de la suspension partielle de l’accord de coopération bilatérale signé en 1977[6], se fonde sur la volonté commune de l’UE et de ses Etats membres de tenter de faire cesser la répression violente que le gouvernement syrien exerce contre sa propre population[7]. 

Le choix de sanctions ciblées par l’Union européenne est encadré dans sa finalité de respect des droits de l’homme par les Lignes directrices concernant la mise en œuvre et l'évaluation de mesures restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE adoptées en 2005[8]. Ces lignes directrices comportent, pour les institutions de l’Union européenne, entre autres exigences, le respect des droits fondamentaux, un suivi de l’évolution politique du pays tiers concerné, la révision régulière des listes sur lesquelles figurent les individus et personnes morales visées et le respect du principe de proportionnalité entre la gravité des violations des droits de l’homme alléguée et la sanction imposée[9]. Par ailleurs, la finalité de ces sanctions de faire cesser la répression violente et les atteintes systématiques aux droits de l’homme est conforme auxLignes directrices en ce que l’objectif recherché est de modifier le comportement des entités et personnes physiques impliquées dans la répression[10] sans pour autant porter atteinte aux règles du commerce international et décrédibiliser l’image de l’Union européenne auprès des populations syriennes[11].

Au-delà de l’ambition de faire cesser les violations massives des droits de l’homme, l’UE tente d’agir de telle sorte que les sanctions qu’elle impose n’affaiblissent pas davantage l’économie du pays, afin de laisser entrevoir sa reconstruction à l’issue du conflit. A ce titre, la pratique des sanctions ciblées (smart sanctions) vise seulement les personnes physiques ou morales impliquées dans la répression[12] mais leur utilisation est restée jusqu’à présent limitée voire même néfaste pour la population syrienne avec une montée de chômage notamment, du fait du fait de la diminution de certains revenus commerciaux privés extérieurs[13]. 

Parallèlement au maintien des restrictions aux exportations dans les domaines évoqués ci-dessus, le Conseil s’est accordé sur une levée de l’embargo frappant les exportations de matériel militaire.

II – Les conditions d’un éventuel transfert d’armements en Syrie

La déclaration du 27 mai 2013 évoque en son point 2 « la vente, la fourniture, le transfert et l'exportation d'équipements militaires ou d'équipements susceptibles d'être utilisés à des fins de répression interne seront destinés à la coalition nationale des forces de la révolution et de l'opposition syrienne et auront pour objet la protection des populations civiles »[14].

Jusqu’à présent, l’embargo sur les armes représentait une interdiction générale de fournir des armes à la Syrie en raison du conflit[15]. Seuls étaient autorisés les exportations destinées à la FNUOD, employées à des fins humanitaires ou de protection, ou bénéficiant à des programmes des Nations unies et de l'Union européenne concernant la mise en place des institutions, ou à des opérations de gestion de crise de l'Union européenne et des Nations unies[16]. La perspective envisagée par la déclaration amène à s’interroger sur un changement de stratégie des Européens par rapport à celle précédemment établie lors du vote des différentes vagues de sanctions successives. Tout en maintenant la possibilité pour les Etats membres d’exporter des matériels militaires à des fins humanitaires ou au bénéfice du personnel de l’UE et de l’ONU[17], la décision ouvre une possibilité de faire parvenir des armes à la coalition nationale des forces de la révolution et de l'opposition syrienne, mouvement politique composite reconnu comme représentant légitime du peuple syrien par les Etats membres de l’UE le 10 décembre 2012[18]. La levée de l’embargo a suscité des oppositions de la part des représentants de certains Etats membres de l’Union, ces derniers soutenant que la politique étrangère de l’Union devait rechercher une solution pacifique au conflit[19].Par ailleurs, la décision ne fait pas référence à la coalition nationale, contrairement à la déclaration. 

Ce changement de stratégie des Etats membres de l’Union européenne doit être analysé à la lumière des Règles communes sur les exportations d’armement de 2008, en ce que la déclaration comme la décision du Conseil emploient des termes identiques :  « notamment en évaluant au cas par cas les demandes d'autorisation d'exportation, en tenant pleinement compte des critères prévus dans la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires ».
        
La position commune évoquée ci-dessus[20] établit un certain nombre de critères sur lesquels les Etats membres de l’UE se sont accordés à des fins de plus grande convergence de leurs politiques extérieures. Concernant les droits humains, la position commune indique que les Etats membres évaluent les demandes d’autorisation à l’exportation en fonction des potentielles menaces que feraient peser ces armements sur les droits de l’homme. En particulier, la position commune attribue une grande importance à ce que ces transferts de technologies et d’équipement militaire ne soient pas utilisés à des fins de répression interne par l’utilisateur final[21].

Concernant l’identité du destinataire, la position commune établissant les règles communesdemeure ambigüe car est pris en considération « le pays » et non pas un groupement politique particulier. En effet, selon le deuxième critère des règles communes, les Etats membres n’autorisent les exportations d’armement qu’ « après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments internationaux concernant les droits de l’homme […] ». La reconnaissance de la résistance syrienne comme représentant légitime du peuple syrien semblait donc s’imposer comme un préalable à la levée de l’embargo.

Malgré la volonté européenne de soutenir les opposants au régime d’el-Assad, un risque de violation du droit de l’UE existe. En son article 2 §2 b), la position commune définit la répression interne comme comprenant « entre autres, la torture et autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants, les exécutions sommaires ou arbitraires, les disparitions, les détentions arbitraires et les autres violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales que mentionnent les instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, dont la déclaration universelle des droits de l’homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques » et les Etats membres s’accordent également à ne pas exporter d’armements susceptibles d’être utilisés à des fins de violations du droit international humanitaire. Selon les règles communes, les organes de l’UE et les Etats membres « font preuve, dans chaque cas et en tenant compte de la nature de la technologie ou des équipements militaires en question, d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été constatées par les organismes compétents des Nations unies, par l’Union européenne ou par le Conseil de l’Europe »[22]. Or, certains rapports établis par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies accusent un groupe d’opposants syriens d’être également à l’origine de violations de droits humains, notamment d’exécutions sommaires[23]. Si ces allégations sont fondées et imputées à la coalition nationale, alors l’UE ne pourrait pas légalement transférer d’armes.

A ce stade, plusieurs difficultés pour une éventuelle livraison d’armes à la rébellion syrienne persistent. En effet, si la coalition nationale des forces de la révolution et de l'opposition syrienne a été reconnue par les Européens comme représentante légitime du peuple syrien et que ces derniers envisagent de leur livrer des armes, il n’en demeure pas moins que la coalition ne détient pas de contrôle sur l’ensemble des mouvements armés hostiles au régime. L’ensemble de la rébellion ne bénéficie en aucun cas d’une présomption de respect des droits humains. Par ailleurs, les vérifications relatives à l’utilisation et aux utilisateurs finaux présenteront de grandes difficultés pratiques. Enfin, parallèlement à la problématique des droits de l’homme, il a été établi que nombre des combattants syriens sont liés à la mouvance Al Qaeda. Leur faire parvenir des armes, directement ou indirectement, correspondrait à une violation de la résolution 2083 du Conseil de sécurité de l’ONU et des règles communes de l’UE[24].

[1] Décision 2011/273/PESC du Conseil du 9 mai 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie, JO L 121 du 10.5.2011, pp. 11–14.

[2] Déclaration du Conseil sur la Syrie, Bruxelles, 27 mai 2013, 101308/13. 

[3] Décision 2013/255/PESC du Conseil du 31 mai 2013 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie, JO L 147 du 1.6.2013, pp. 14–45.

[4] Pour un exemple de clause de conditionnalité démocratique insérée dans un accord extérieur de l’UE : Accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Ca- raïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou, 23 juin 2000, doc. 2000/483/CE, in JO L 317/3, du 15.12.2000, art. 9.

[5] Décision 2012/739/PESC du Conseil du 29 novembre 2012 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782/PESC, JO L 330 du 30.11.2012, pp. 21–51. 

[6] Décision 2011/523/UE du Conseil du 2 septembre 2011 portant suspension partielle de l’application de l’accord de coopération conclu entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne, JO L 228/19 du 3.9.2011, pp. 18-19 ; Décision 2012/123/PESC du Conseil du 27 février 2012 modifiant la décision 2011/523/UE portant suspension partielle de l’application de l’accord de coopération conclu entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne, JO L 54/18 du 28.2.2012, p. 18.

[7] Décision 2011/273/PESC du Conseil du 9 mai 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie op. cit., cons. 1, 2 et 3.

[8] Lignes directrices concernant la mise en œuvre et l'évaluation de mesures  restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE, document 15114/05 du Conseil du 2 décembre 2005.

[9] Idem, pp. 5-9.

[10] Idem, II A 4, p. 4.

[11] Idem, II B 11, p. 6.

[12] Voir par ex., Rectificatif au règlement d'exécution (UE) n ° 363/2013 du Conseil du 22 avril 2013 mettant en œuvre le règlement (UE) n ° 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, JO L 127 du 9.5.2013, pp. 27–43.

[13] http://tempsreel.nouvelobs.com/la-revolte-syrienne/20120416.OBS6316/syri...

[14] Déclaration du Conseil sur la Syrie, Bruxelles, 27 mai 2013, 101308/13.

[15] Voir par ex., Décision 2012/739/PESC du Conseil du 29 novembre 2012, op. cit., pp. 21–51, art. 1 et art. 2.

[16] Idem, art. 3.

[17] Décision 2013/255/PESC du Conseil du 31 mai 2013 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie, op. cit., art. 1er § 3.

[18] Conclusions du Conseil sur la Syrie, Bruxelles, 10 décembre 2012, 17515/12. pt. 3. 

[19] http://www.euractiv.fr/international/syrie-lue-cede-a-paris-et-londres-s...

[20] Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, JO L 335 du 13.12.2008, p. 99–103.

[21] Idem, Art. 2, § 2.

[22] Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008, op. cit., Art. 2 § 2 b).

[23] Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur la République arable syrienne, 4 juin 2003, A/HRC/23/58.

[24] http://www.ejiltalk.org/a-shared-responsibility-trap-supplying-weapons-t...

Date

Le 1 juillet 2013

Publié le 7 mai 2021

Mis à jour le 12 juillet 2023