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A vos marques, prêts, partez ! - par Mihaela Ailincai

Parution / Groupe Liberté et Sécurité

Le 9 juillet 2010

Le 7 juillet 2010, la Commission européenne et les experts du Comité directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe ont lancé les pourparlers officiels sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme. Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, et Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, se sont réunis à Strasbourg pour marquer l'ouverture de ce processus. L'adhésion de l'UE à la CEDH s'impose en application de l'article 6  § 2 du traité sur l'Union européenne (1) et est prévue par l'article 59 de la CEDH telle qu'amendée par le Protocole n° 14 (2). Dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les deux organisations concernées ont entrepris des démarches afin que les négociations d'adhésion débutent au plus tôt. Le 17 mars, la Commission a proposé des directives de négociation en vue de l'adhésion de l'UE à la CEDH (IP/10/291). Le 19 mai, le Parlement européen a adopté une Résolution sur les aspects institutionnels de l'adhésion de l'Union à la CEDH. Le 28 mai, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a donné au Comité directeur pour les Droits de l'Homme un mandat occasionnel pour élaborer avec l'UE l'instrument juridique requis en vue de l'adhésion de l'UE à la CEDH. Enfin, le 4 juin, les ministres de la justice de l'UE ont mandaté la Commission pour conduire les négociations. En adoptant le mandat de négociation plus tôt que prévu (3), le Conseil a envoyé un signal politique en faveur d'une adhésion rapide. Le contenu des directives de négociation est confidentiel afin de préserver la capacité de négociation de la Commission européenne. A en croire la Commission des questions politiques de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (AS/Pol (2010) 27 rev), le Conseil a été incité à laisser plusieurs questions juridiques en suspens et à formuler des directives de négociation suffisamment souples pour laisser une marge de manoeuvre suffisante aux négociateurs. Il est impossible d'exposer ici tous les débats que suscite la perspective d'une adhésion de l'Union à la CEDH. Tout au plus est-il possible d'évoquer très brièvement et de manière non exhaustive quelques questions majeures qui devront être abordées au cours des négociations (4). Les négociations devront déterminer si l'Union adhérera uniquement au texte de la Convention ou également aux protocoles additionnels. Dans l'hypothèse où cette dernière solution serait retenue, quatre options semblent envisageables. Le Parlement européen s'est prononcé en faveur d'une "adhésion à l'ensemble des protocoles [de la CEDH] concernant des droits qui correspondent à la Charte des droits fondamentaux, et ceci indépendamment de leur ratification par les Etats membres de l'Union" (Résolution, par. 4). Cela soulève sans doute la question de savoir si l'adhésion selon cette forme n'affecterait pas, de manière indirecte, le régime dérogatoire obtenu par le Royaume-Uni, la Pologne et la République tchèque au titre de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette solution incite par ailleurs à se demander si l'Union ne devrait pas également adhérer à la Charte sociale européenne qui couvre certains des principes contenus dans la Charte des droits fondamentaux. La deuxième option consiste en l'adhésion de l'Union à tous les protocoles à la CEDH, quelque soit l'état de leur ratification par les Etats membres de l'Union et leur lien avec la Charte des droits fondamentaux (Résolution, par. 4). Cette solution semble susceptible de provoquer la réticence des Etats qui se sont délibérément abstenus de ratifier certains protocoles à la CEDH. En effet, tous les actes adoptés par les institutions de l'Union devront respecter les droits garantis par tous les protocoles. Les Etats membres de l'Union européenne seront contraints de se conformer à ces actes, ce qui signifie qu'ils seront contraints par ricochet de respecter des droits qu'ils n'ont pas choisi de garantir au titre de la CEDH. Or, l'article 2 du Protocole au traité de Lisbonne relatif à l'article 6 § 2 du traité sur l'Union européenne indique explicitement que l'accord d'adhésion "doit garantir qu'aucune de ses dispositions n'affecte la situation particulière des Etats membres à l'égard de la Convention européenne, et notamment de ses protocoles". Une troisième option, plus restrictive, est l'adhésion de l'Union aux seuls protocoles ratifiés par tous les Etats membres de l'UE. Cette dernière option exclut l'adhésion aux protocoles 4 , 7, 9, 10, 12 et 13 qui n'ont pas été ratifiés par tous les membres de l'Union. Enfin, une quatrième option consiste en l'adhésion de l'Union aux seuls protocoles qui relèvent de son champ de compétence, ce qui exclut au moins les deux protocoles à la CEDH relatifs à la peine de mort. Un autre point de négociation portera sur les modalités de la participation de l'Union aux organes du Conseil de l'Europe exerçant des fonctions au titre de la CEDH, dont le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire. Sur ce point, le Parlement européen estime que l'Union européenne doit "participer à travers la Commission européenne, avec droit de vote au nom de l'UE, aux réunions du Comité des ministres lorsqu'il exerce ses fonctions d'organe de contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ou lorsqu'il statue sur l'opportunité de demander un avis à la Cour, ainsi que celui d'être représentée au sein du Comité directeur pour les droits de l'Homme" (Résolution, par. 7). Le Parlement considère en outre qu'il doit être en mesure de désigner ou d'envoyer un certain nombre de représentants à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe lorsqu'elle élit des juges à la Cour européenne des droits de l'Homme et qu'il doit être impliqué dans l'établissement de la liste des trois candidats pour la fonction de juge à la Cour européenne que l'Union présentera à l'Assemblée parlementaire (Résolution, par. 7). Quelque soit l'option retenue, la participation d'un représentant de l'Union européenne aux réunions des organes du Conseil de l'Europe lorsqu'ils agissent au titre de la CEDH exigera sans aucun doute une révision du Statut du Conseil de l'Europe, ou tout au moins une résolution statutaire modifiant la composition de ces organes. Les négociations devront encore aborder la question de la nécessité de préserver la spécificité de l'Union. Sous cet angle, ils auront à déterminer s'il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de co-défendeur, en vertu duquel un Etat peut demander à ce qu'un recours dirigé contre lui soit également dirigé contre l'Union européenne et vice versa, en raison de la répartition des compétences propre à l'Union. Les négociateurs devront aussi se prononcer sur la manière de préserver le monopole de la Cour de justice de l'Union européenne en matière d'interprétation du droit de l'Union. Ils devront à ce titre déterminer si l'épuisement des voies de recours internes préalable à la saisine de la Cour européenne doit englober une question préjudicielle devant la Cour de justice de l'Union à chaque fois que le litige soumis aux juridictions nationales l'exige. Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe ainsi que la Commission européenne des droits de l'homme ont évoqué la date du 30 juin 2011 pour l'achèvement des négociations, ce qui constitue une perspective ambitieuse. Pour leur part, les représentants du Conseil de l'Union se montrent bien plus prudents car ils n'excluent pas que le processus dure jusqu'à cinq ans. En tout état de cause, l'accord  d'adhésion élaboré par la Commission européenne de concert avec le Comité directeur pour les droits de l'homme devra être conclu par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe et par le Conseil de l'UE à l'unanimité (article 218 § 8 TFUE). Le Parlement européen, qui doit être pleinement informé de toutes les étapes de la négociation, devra donner son approbation (article 218 § 6 et 10). Une fois l'accord conclu, il devra être ratifié par les quarante-sept Etats parties à la CEDH, conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives.

Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, et Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, réunis à Strasbourg le 7 juillet 2010 pour marquer l'ouverture des négociations d'adhésion.

par Mihaela Ailincai. ________________

(1) L'article 6 § 2 du TUE stipule que "[l]'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités".

(2) L'article 59 § 2 de la CEDH indique que "[l]'Union européenne peut adhérer à la présente Convention".

(3) Il était initialement prévu que les directives de négociation soient adoptées à la fin du mois de juin 2010.

(4) Cf. CDDH-UE (2010) 006 rev., 7 juillet 2010, 1ère réunion de travail du Groupe de travail informel du CDDH sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme (CDDH-UE) avec la Commission européenne, Projet de liste de questions à débattre.

 

Date

Le 9 juillet 2010

Publié le 20 mai 2021

Mis à jour le 12 juillet 2023