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Le terrorisme sur Internet

Communiqué / Citoyenneté

Le 17 mars 2017

Par décision du 10 février 2017, le Conseil Constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 421-2-5-2 du code pénal ayant pour objet la répression de la consultation habituelle de sites internet terroristes.

Calquée sur le délit de consultation habituelle de sites pédopornographiques, cette disposition était rédigée ainsi : « Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »

Il convient de préciser que l’article 421-2-5-2 du code pénal issu de la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 s’inscrit dans le cadre du projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme déposé le 11 avril 2012. Conformément aux objectifs poursuivis, plusieurs nouveaux délits ont été insérés dans le code pénal dans la perspective commune de lutter contre la propagation de l’idéologie extrémiste et empêcher qu’elle ne conduise à la commission d’actes terroristes. Suivant cette logique préventive animée par la volonté d’appréhender les signaux précoces du passage à l’acte terroriste, le « délit de consultation habituelle de sites terroristes », venait s’ajouter à d’autres nouvelles dispositions, à l’instar de l’article 421-2-5 du code pénal qui réprime « la provocation et l’apologie des actes de terrorisme », et de l’article 421-2-4 à propos de « l’instigateur d’actes de terrorismes ».[1]

C’est dans ce contexte que le Conseil, saisi d’une question prioritaire de constitutionalité (QPC) par la Cour de Cassation le 7 décembre 2016, était amené à prendre position sur la conformité du nouvel article 421-2-5-2 du code pénal au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, et plus précisément de l’atteinte allégée à la liberté de communication.

La haute juridiction conclura à l’issu de son examen à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées au motif qu’elles ne satisfont pas aux exigences de « nécessité, d’adaptation et de proportionnalité » de nature à justifier qu’il puisse être porté atteinte à liberté de communication. Cette appréciation étant opérée par référence à l’objectif visé de prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre des actes terroristes ultérieurement.

Parmi les considérations déterminantes qui ont conduit à la décision, c’est d’abord l’existence d’un arsenal répressif et préventif trop important, et particulièrement  sophistiqué pour tenter d’éviter l’acte terroriste. De plus, l’infraction considérée n’est assortie d’aucune exigence tendant à ce que soit démontrée l’intention de commettre un acte terroriste. Enfin, l’infraction ne nécessite pas que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur Internet. Dès lors, les causes exonératoires tenant à « la bonne foi » de l’auteur de la consultation s’avèrent trop difficiles à apprécier au regard de ce défaut d’élément intentionnel. En définitive, l’absence de prise en considération des motivations à l’origine de l’acte de consultation, conjuguée à la portée imprécise de l’exemption de bonne foi est, d’après le Conseil, de nature à faire peser une incertitude ne permettant pas de distinguer utilement entre les comportements pouvant être jugés illicites et ceux susceptibles d’entrer dans le champs des exonérations.

 

I. Une atteinte à la liberté de communication non nécessaire

 

Indépendamment de l’incrimination contestée, le Conseil relève l’existence d’un éventail de mesures à la fois répressives et préventives permettant aux institutions judiciaires et administratives d’appréhender efficacement la commission d’actes  terroristes à un stade précoce situé en amont du projet. Ces « infractions obstacle »[2] incorporées dans la législation permettent notamment de sanctionner les agissements tels que l’incitation, la préparation ou encore l’apologie du terrorisme en vue de la commission de tels actes. Parmi les dispositions identifiées par le Conseil, l’article 421-2-6 qui réprime l’« entreprise individuelle de terrorisme » inclue au titre de ses éléments matériels constitutifs le fait de « consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne (..) provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Ce comportement analysé comme un risque de basculement est donc déjà pris en compte comme critère constitutif d’une autre infraction permettant d’intercepter la personne soupçonnée avant que le projet terroriste n’entre dans la phase d’exécution.

Dans la même veine, le Conseil rappelle l’étendue des pouvoirs des services d’enquête et les moyens techniques à disposition des services de renseignement faisant état de mesures de détection potentiellement intrusives pour surveiller les personnes se livrant à de telles consultations et prévenir des passages à l’acte terroriste. Cette observation laisse supposer qu’une nouvelle incrimination ne serait pas utile compte tenu des outils pénaux déjà existants.

Enfin, concernant les autorités administratives, le Conseil Constitutionnel rappelle les évolutions récentes tendant au renforcement de leur action préventive. Dans ce sens, les institutions administratives disposent de moyens leur permettant d’exiger que les contenus faisant l’apologie ou provoquant des actes terroristes soient retirés. Elles peuvent encore saisir le juge des référés aux fins d’obtenir l’arrêt d’un service Internet en ligne.

Compte tenu de l’ensemble de ces dispositions permettant de prévenir la commission d’actes terroristes en amont si le comportement suspecté s’accompagne d’une intention terroriste, le Conseil estime que la nécessité de porter davantage atteinte à la liberté de communication n’est pas vérifiée.[3]

 

II. L’absence d’adaptation et de proportionnalité de la mesure

 

A cet égard, le Conseil souligne que les dispositions attaquées n’exigent pas que l’infraction concernée s’accompagne d’une volonté de commettre des actes terroristes, ni la preuve que cette consultation se double d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur Internet. Il s’ensuit que « le simple fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, quelle que soit l’intention de l’auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, qu’elle n’intervient pas dans le cadre de recherches scientifiques ou qu’elle n’est pas réalisée afin de servir de preuve en justice »[4] est susceptible d’être réprimé sur la base de ces dispositions. Or, s’agissant des motifs exonératoires consistant à exclure de l’incrimination visée la consultation effectuée de « bonne foi », il ressort que les contours de cette exemption ne sont pas suffisamment définis au regard du fait que l’auteur de la consultation peut être sanctionné sur le fondement de cette disposition sans avoir manifesté une quelconque intention terroriste. Le Conseil considère finalement « que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée »[5] au regard de l’objectif poursuivi. Partant, l’article 421-2-5-2 est déclaré contraire à la Constitution.

Si cette décision illustre les dérives possibles en période d’État d’urgence face à la menace terroriste, la protection des libertés fondamentales reste primordiale. Cette décision constitutionnelle met un frein aux tentations du législateur à vouloir adopter une logique anticipative consistant à appréhender à tout prix des comportements suspects, toujours plus tôt, en dépit d’une intention criminelle avérée. Les dispositions contestées ont été étudiées et reformulées en tenant compte des insuffisances pointées par le Conseil[6], ce qui témoigne malgré tout de l’utilité de cette incrimination sur le plan pratique dans les procédures judiciaires.

 

Julia Burchett
Doctorante à l'Université Grenoble Alpes

 

[1] Projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme, 11 avril 2012, « Chapitre 1er : Dispositions modifiant le code pénal ».

[2] Rapport d’activité du Conseil d’Etat 2013, La documentation française, pp. 202-203, « Le Conseil d’Etat a par ailleurs relevé que notre législation comportait déjà plusieurs « infractions obstacle », au nombre desquelles, notamment, l’association de malfaiteurs terroristes prévue et réprimée par l’article 421-2-1 du code pénal, permettant de procéder à l’arrestation de personnes préparant la commission d’actes de terrorisme sans attendre que leur projet soit entré dans une phase d’exécution. »

[3] Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. (délit de consultation habituelle de sites internet terroristes), para. 13.

[4] Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, para 14.

[5] Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, para 16.

[6] Article 421-2-5-2 du code pénal modifié par la loi n°2017-258 du 28 février 2017-art.24.

Date

Le 17 mars 2017

Publié le 3 février 2021

Mis à jour le 3 février 2021