Aller au contenu principal

Surveillance de l'exécution des arrêts - réunion du 3 juin 2010 - par M. Ailincai

Publication ouvrage / Groupe Liberté et Sécurité

Le 14 juin 2010

Le 3 juin 2010, le Comité des Ministres a tenu sa deuxième réunion spéciale « droits de l’homme », consacrée à la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme …
Lors de sa réunion du 3 juin 2010, le Comité des Ministres a examiné 471 nouveaux arrêts. Il a adopté plusieurs résolutions clôturant la surveillance qu'il exerce. Dans vingt affaires ou groupes d'affaires, il a également adopté, directement en réunion, une décision ordinaire en lieu et place d'une résolution intérimaire. Depuis 2002, de telles décisions se substituent progressivement aux résolutions intérimaires en tant qu'instrument ordinaire de pression. Elles ont la même finalité que les résolutions intérimaires, en ce sens qu'elles visent à dresser un bilan des progrès accomplis et des mesures d'exécution attendues. Leur succès s'explique par le fait qu'elles évitent l'ajournement de la surveillance que provoque l'adoption d'une résolution intérimaire. Mais les décisions ordinaires sont moins visibles que les résolutions intérimaires parce qu'elles ne sont pas reproduites dans la base de données HUDOC. Il s'ensuit que la pression exercée au moyen d'une décision ordinaire sur un Etat défendeur coupable d'une exécution lente ou négligente s'exerce en grande partie dans l'ombre, ce qui retarde le recours à la désapprobation publique. Le Comité des ministres a en outre adopté une Résolution intérimaire dans l'affaire Ben Khemais c. Italie (arrêt du 24 février 2009), dans laquelle il a fermement rappelé l'obligation des Etats parties à la CEDH de se conformer aux mesures provisoires requises par la Cour européenne des droits de l'homme. En l'espèce, le requérant a été expulsé le 2 juin 2008 vers la Tunisie, alors même qu'en vertu de l'article 39 de son Règlement intérieur la Cour européenne avait demandé aux autorités italiennes de ne pas procéder à l'expulsion (1). En conséquence, la Cour a conclu que le requérant a subi une violation de son droit de requête individuelle (article 34) ainsi qu'une violation de son droit d'être protégé contre tout traitement contraire à l'article 3 de la CEDH (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). En mars 2010, les autorités italiennes se sont engagées devant le Comité des Ministres à respecter pleinement les mesures provisoires indiquées par la Cour européenne en vertu de l'article 39 de son Règlement. Pourtant, le 1er mai 2010, elles ont expulsé vers la Tunisie un autre requérant, M. Mannai, toujours en méconnaissance d'une mesure provisoire dictée par la Cour. Constatant que cette pratique est également en cause dans deux autres affaires, les affaires Ali Toumi et Trabelsi, le Comité des Ministres rappelle avec fermeté l'obligation des Etats parties à la CEDH de respecter les mesures provisoires indiquées par la Cour (depuis son arrêt de Grande Chambre Mamatkulov et Askarov c. Turquie du 4 février 2005, la Cour estime que les mesures provisoires s'imposent aux Etats non pas en vertu de l'article 39 de son Règlement, mais parce que l'obligation de les respecter découle de l'article 34 de la CEDH relatif au droit de requête individuelle). Enfin, l'organe intergouvernemental décide d'examiner l'arrêt Ben Khemais c. Italie à chacune de ses réunions « droits de l'homme » « jusqu'à ce que les mesures urgentes nécessaires aient été adoptées ». Il accroît ainsi la pression sur les autorités italiennes. Mais il est à regretter que le Comité des Ministres n'ait pas ressenti le besoin de détailler les mesures attendues de la part du gouvernement italien (2). La question se pose en effet de savoir quelles sont les mesures individuelles que le gouvernement peut prendre pour effacer les conséquences des violations de la CEDH subies par le requérant et s'assurer que le traitement actuel du requérant respecte les exigences de l'article 3, alors même que celui-ci a été soustrait à la juridiction de l'Italie et que « des sources fiables font état de pratiques des autorités [tunisiennes] - ou tolérées par celles-ci - manifestement contraires aux principes de la Convention » (CourEDH, 28 février 2008, Saadi c. Italie, par. 147 ; CourEDH, 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie, par. 57). Il est certain que les autorités italiennes ne peuvent pas se contenter de présenter des assurances diplomatiques concernant les conditions de détention du requérant car la Cour européenne a estimé que ces assurances ne sont pas de nature à « offrir une protection efficace contre le risque sérieux que court le requérant d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention » (CourEDH, 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie, par. 61). Le fait pour le gouvernement de déployer des efforts en vue d'obtenir des informations sur la situation du requérant en prison ne saurait pas non plus suffire. Il semblerait que la mesure la plus convaincante consiste à accorder au requérant un visa l'autorisant à revenir en Italie (3). par Mihaela Ailincai _______________________ (1) Le requérant purge actuellement une peine de treize ans d'emprisonnement en Tunisie en raison de sa condamnation en 2002 pour participation à une organisation terroriste. (2) Pour sa part, le Commissaire aux droits de l'homme a recommandé aux autorités italiennes de « prendre les mesures appropriées afin [de] surveille[r] effectivement les conditions d'accueil [du requérant] et veille[r] à sa sécurité et au respect de sa dignité en Tunisie ». Cf. CommDH (2009) 16, 16 avril 2009, Rapport du Commissaire aux droits de l'homme sur sa visite en Italie du 13 au 15 janvier 2009, par. 98. (3) Cette mesure a été adoptée dans l'affaire Hamidovic c. Italie. Cf. ibid., par. 104.

Date

Le 14 juin 2010

Publié le 20 mai 2021

Mis à jour le 12 juillet 2023