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Retraits du Statut de Rome?

Communiqué / Formation

Le 15 juin 2017

Agglomération grenobloise

Si la justice pénale internationale n’a jamais été aussi présente, elle n’a jamais été aussi critiquée[1], est-ce un signe de son succès ou de son échec ?

De par sa nature internationale, le droit international pénal dépend sans doute, de la volonté des Etats de le maintenir et de le faire évoluer. De par sa nature pénale, il dépend entièrement de la coopération des Etats pour assurer son effectivité. Souvent, les crimes qui accèdent au stade international sont des crimes de pouvoir, les critiques de la Cour ne sont donc pas chose nouvelle. Toutefois, les retraits du statut de Rome, pinacle de l’opposition politique sont sans précèdent. 

Les rédacteurs du statut de Rome ont prévu la possibilité de retrait à l’article 127, conformément à l’article 54-1 de la Convention de Vienne. C’est ainsi que le 27 octobre 2016, le Burundi notifie officiellement son retrait au Secrétaire général des Nations Unies[2].  L’Afrique du Sud suit le pas, et fait parvenir sa décision au dépositaire du statut le 21 octobre 2016. Toutefois, la Cour suprême de l’Afrique du Sud estime que la décision de retrait est non conforme à la Constitution[3]. La Gambie, sous l’influence du nouveau président élu Adama Barrow décide finalement de ne plus se retirer du Statut de Rome. Aujourd’hui, seul le retrait du Burundi est notifié, il sera effectif le 27 octobre 2017[4]. En outre, le 12 janvier 2017, lors du sommet Africain tenu à Addis Abeba, les Etats africains décident d’une stratégie de retrait collectif du Statut[5], il n’en est cependant rien, s’agissant d’une proposition de réforme de la Cour plutôt que d’une réelle stratégie de retrait[6].

Quels sont les arguments des Etats souhaitant se retirer ? 

Pour les Etats africains, la Cour est beaucoup trop « africano-centrée », elle serait selon eux, partiale. En effet 9 des 10 enquêtes en cours sont sur le territoire africain. Il est cependant important de noter que pour la majorité des affaires, ce sont les Etats eux-mêmes qui demandent que la Cour se saisisse et examine la situation sur leur territoire. En outre, il ne semble pas que les Etats africains souhaitent réellement « désafricaniser » la Cour. Preuve en est que lors du vote de la résolution française visant au transfert du cas de la Syrie devant la Cour ; seul le Nigeria a voté en faveur alors que, le Botswana, le Cape Verde, la Cote d’Ivoire, le Ghana, la Lybie, la République des Seychelles et la Tunisie ont voté contre[7].

De plus, selon certains Etats il convient d’opérer un choix entre la justice et la restauration de la paix. Il n’est ainsi pas certain que la Cour ou la justice pénale internationale, soit la plateforme adéquate pour assurer une paix pérenne dans les zones en conflits. Pis, l’interférence de la justice pénale internationale à tous les stades d’un conflit pourrait aggraver les tensions. Rappelons que si dans certains cas la justice pénale internationale n’a pas su à elle seule rétablir la paix, elle n’a jamais causé le déclenchement d’un conflit ou l’aggravation des tensions. En outre, le Statut de Rome prévoit et prend en compte les intérêts de la justice dans son appréciation d’ouverture d’une enquête et l’article 16 du Statut autorise le Conseil de sécurité des Nations Unies, garant de la paix et la sécurité internationale, à suspendre temporairement les procédures.

Enfin, selon les Etats hostiles à la Cour, le Statut de Rome pose des normes qui ne sont pas compatibles avec le droit international général. En effet, l’article 27 du Statut de Rome prévoit que les immunités qui s’attachent à la qualité officielle d’une personne n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne. Ainsi, si le droit international général (lex generalis) prévoit l’immunité pour les dirigeants en exercice, le Statut de Rome (lex specialis) fait tomber cette immunité lorsqu’il existe des doutes que les dirigeants aient commis des crimes de guerre, génocides ou crimes contre l’humanité. Voilà pourquoi, en juin 2014, les chefs d’état africains se réunissent à Malabo et adoptent un protocole dit « Protocole de Malabo » au statut de la Cour Africaine qui vise, entre autres, à la création d’une Cour pénale régionale, africaine. Cette démarche est sans doute la bienvenue et montre la volonté des Etats africains de promouvoir la justice sur le continent. Toutefois, l’article 46Abis prévoit qu’aucune procédure pénale ne peut être engagée ni poursuivie contre un chef d’état ou de gouvernement de l’Union Africaine. Quel intérêt aurait une cour pénale régionale qui ne peut engager des procédures contre les chefs d’états ou de gouvernements en fonction lorsque des crimes de pouvoir auraient été commis ? Là encore, il ne s’agit que d’un essai de se soustraire du Statut de Rome en créant une juridiction régionale censée remplacer la Cour pénale internationale mais vidée de son intérêt.

Il demeure qu’à la prochaine assemblée des Etats parties seul un Etat pourrait être absent, le Burundi. Le 25 avril 2016, le procureur annonce l’ouverture d’un examen préliminaire concernant « meurtres, d'emprisonnements, d’actes de torture, de viols et autres formes de violence sexuelle, ainsi que des cas de disparitions forcées » [8]. Quelles conséquences aurait le retrait sur cet examen préliminaire ? Le deuxième alinéa de l’article 127 prévoit que « le retrait n’affecte en rien la poursuite de l’examen des affaires que la Cour avait déjà commencé à examiner avant que le retrait ne soit effectif ». Cet article fait-il référence aux examens préliminaires ou aux enquêtes en cours ? Il n’est pas certain que par le terme « la Cour » l’on entende également le Bureau du procureur. Les travaux préparatoires n’offrent aucune réponse à cette incertitude[9]. Tout laisse à croire toutefois que le bureau du procureur ne se dessaisira pas de l’affaire lorsque le retrait du Burundi sera effectif. Ne serait-il pas trop aisé pour les Etats de se retirer du Statut de Rome lorsque le procureur ouvre un examen préliminaire concernant cet Etat ?

En définitive, les retraits des organisations internationales constituent une opposition politique au fonctionnement de cette dernière. Il demeure que le retrait du Statut de Rome est un acte politique n’ayant que des conséquences limitées en pratique. Toutefois, si la Cour pénale internationale est indépendante juridiquement, elle reste très dépendante politiquement. Rappelons que le retrait ne peut jamais avoir pour conséquence la soustraction totale des Etats de l’examen du bureau du procureur. En effet, les Etats-non membres du Statut de Rome peuvent tout de même faire l’objet d’un examen préliminaire ou d’une enquête, leurs citoyens peuvent aisément se retrouver devant la pièce maîtresse de la justice pénale internationale[10].

En somme, si la Cour fait l’objet de critiques et d’oppositions politiques à son fonctionnement voir à son existence, il ne s’agit que d’un signe de son succès.

Amr Jomaa

Master II Droits de l'Homme et Droit Humanitaire
Université Paris II - Panthéon Assas

[1] Julian FERNANDEZ, « La Justice Pénale Internationale : Un phénomène » in Julian FERNANDEZ (dir.), « Justice Pénale Internationale », CNRS Editions, 2016, pp.11-24.

[2] Nations unies, Référence C.N.805.2016.TREATIES-XVIII.10 (Notification dépositaire), 28 octobre 2016, disponible sur : https://treaties.un.org/doc/Publication/CN/2016/CN.805.2016-Frn.pdf, consulté le 08 novembre 2016?

[3] https://www.nytimes.com/2017/03/08/world/africa/south-africa-icc-withdra...

[4] https://qz.com/910308/gambia-will-remain-in-the-international-criminal-c...

[5]https://www.hrw.org/sites/default/files/supporting_resources/icc_withdra...

[6] Mark KERSTEN, “Not All it’s Cracked Up to Be – The African Union’s “ICC Withdrawal Strategy”, Justice in Conflict, 6 fév. 2017. [URL: https://justiceinconflict.org/2017/02/06/not-all-its-cracked-up-to-be-th...

[7] Jean-Baptiste JEANGENE VILMER « The African Union and the International Criminal Court: counteracting the Crisis », International Affairs, 92:6, 2016, p. 1319-1342

[8] CPI, Déclaration du Procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, à propos de l’examen préliminaire entamé dans le cadre de la situation au Burundi, 25 avril 2016.

[9] Voir Pamela CAPIZZI, « Le retrait du Burundi du Statut de la Cour pénale internationale : quelles conséquences ? », La Revue des droits de l’homme Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 26 novembre 2016. [URL : http://revdh.revues.org/2738]

[10] C’est le cas par exemple pour la Libye ou le Soudan.

Date

Le 15 juin 2017

Localisation

Agglomération grenobloise

Publié le 28 janvier 2021

Mis à jour le 28 janvier 2021