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La politique de « prioritisation » de la Cour européenne des droits de l'homme – par M. AILINCAI

Publication ouvrage / Groupe Liberté et Sécurité

Le 22 décembre 2010

Afin de tenter d'atténuer les effets néfastes de l'engorgement auquel elle doit faire face, la Cour européenne des droits de l'homme a défini une politique de « prioritisation » des affaires.

     Avant juin 2009, la Cour européenne des droits de l'homme instruisait et jugeait les affaires selon l'ordre chronologique de leur inscription au rôle de la juridiction, même si certaines affaires pouvaient exceptionnellement être traitées par priorité en raison d'une urgence particulière. Cette méthode avait des conséquences néfastes à la fois pour les victimes d'une violation des droits garantis par la CEDH et pour le système de protection des droits de l'homme lui-même. Il arrivait en effet que certaines allégations de violation grave des droits de l'homme ne soient examinées qu'à l'issue d'un délai très long. Au-delà du fait que cela créait une situation insupportable pour les victimes, le délai de jugement favorisait la saisine de la Cour par une myriade de requérants invoquant une violation similaire, ce qui contribuait à alourdir l'engorgement de la Cour.

     Pour faire face à ce problème, la Cour a modifié l'article 41 de son règlement intérieur le 29 juin 2009. Cette disposition indique désormais que « [p]our déterminer l'ordre dans lequel les affaires doivent être traitées, la Cour tient compte de l'importance et de l'urgence des questions soulevées, sur la base de critères définis par elle. La chambre et son président peuvent toutefois déroger à ces critères et réserver un traitement prioritaire à une requête particulière ». Afin de mettre en œuvre cette disposition, la Cour a établi récemment des critères permettant de déterminer le degré de priorité d'une affaire. Elle a classé les affaires en sept catégories. La première concerne les affaires les plus urgentes, l'urgence étant définie notamment au regard du risque qui pèse sur la vie ou la santé du requérant. Relèvent également de cette catégories les affaires dans lesquelles la Cour est priée d'ordonner une mesure provisoire en vertu de l'article 39 de son règlement intérieur. La deuxième catégorie regroupe les affaires qui mettent en cause un problème structurel et endémique sur lequel la Cour n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer, les affaires qui soulèvent une question importante d'intérêt général ainsi que les affaires étatiques. La troisième catégorie concerne les affaires dans lesquelles il existe a priori une menace directe pour l'intégrité ou la dignité de la personne humaine. La Cour vise ici plus particulièrement les affaires dans lesquelles le ou les requérants dénoncent une violation des articles 2, 3, 4 ou 5 § 1 de la Convention, qui protègent selon elle des « core rights ». La quatrième catégorie est relative aux affaires mettant en cause d'autres articles de la Convention et qui sont potentiellement bien fondées. La distinction établie entre les affaires relevant de la troisième et de la quatrième catégories pourrait à n'en point douter alimenter le débat au sujet de l'existence d'une hiérarchie dans les droits garantis par la CEDH. La cinquième catégorie concerne les affaires répétitives ; la sixième les affaires soulevant a priori un problème de recevabilité et la septième catégorie regroupe les requêtes manifestement irrecevables.

     Bien évidemment, le degré de priorité d'une affaire sera plus élevé si elle relève de l'une des premières catégories, étant entendu que la chambre ou son président pourra décider qu'une affaire mérite d'être traitée différemment. 

     Cette méthode paraît tout à fait pertinente en ce sens qu'elle pourrait atténuer les critiques au sujet des délais de jugement de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle pourrait même, à terme, contribuer à endiguer l'engorgement de la juridiction européenne car elle devrait lui permettre de dénoncer aussi précocement que possible les problèmes structurels. Cela pourrait avoir pour conséquence de réduire le nombre des affaires répétitives, si tant est que l'Etat défendeur est disposé à exécuter rapidement l'arrêt et qu'il en est capable. Mais, dans l'immédiat, cette méthode pourrait diminuer le nombre des affaires traitées annuellement car d'importants moyens seront consacrés aux affaires les plus complexes. par Mihaela AILINCAI

 

Date

Le 22 décembre 2010

Publié le 20 mai 2021

Mis à jour le 12 juillet 2023