- Imprimer
- Partager
- Partager sur Facebook
- Share on X
- Partager sur LinkedIn
Publication ouvrage / Groupe Liberté et Sécurité
Le 24 juin 2010
Dans son arrêt Schalk et Kopf c. Autriche du 24 juin 2010 (en anglais), la Cour européenne des droits de l'homme juge pour la première fois que l'article 12 de la CEDH est applicable à un couple homosexuel mais n'oblige pas les Etats parties à ouvrir le droit au mariage à un tel couple . Elle opte ainsi pour une solution prudente qui annonce une évolution probable. En l'espèce, un couple d'homosexuels autrichien s'est trouvé confronté au refus des autorités autrichiennes de sceller leur mariage, au motif que seules des personnes du même sexe pouvaient se marier. Cependant, depuis le 1er janvier 2010, le couple pouvait tirer profit de la loi sur le concubinage officiel qui offre aux couples de même sexe une reconnaissance juridique de leurs relations. Devant la Cour européenne des droits de l'homme, les requérants invoquaient l'article 12 de la CEDH (droit au mariage) ainsi que l'article 14 (droit à la non-discrimination) combiné à l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). La Cour est ainsi amenée à se prononcer sur la question de savoir si deux personnes du même sexe peuvent revendiquer à leur profit un droit au mariage. Sous l'angle de l'article 12, la Cour rappelle que cette disposition stipule que "l'homme et la femme ont le droit de se marier". Elle admet, de concert avec les requérants, que cette formulation ne signifie pas nécessairement qu'un homme ne peut se marier qu'avec une femme et vice versa. Toutefois, la juridiction européenne note que la formulation de l'article 12 diffère de celle retenue dans les autres dispositions de la Convention, qui octroient des droits à "toute personne". Elle en déduit que la formulation plus restrictive de l'article 12 est délibérée et qu'elle correspond à la conception du mariage qui prévalait dans les années 1950. En réponse à l'argument des requérants selon lequel la Convention doit être interprétée à l'aune des conditions de vie actuelles, la Cour opte pour un raisonnement très nuancé. Elle admet que "the institution of marriage has undergone major social changes since the adoption of the Convention" (Cour EDH, GC, 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni) et que l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne limite pas le droit au mariage aux personnes de même sexe. Mais elle constate que cette dernière disposition laisse aux législations nationales le soin de réglementer l'exercice du droit au mariage (1). En conséquence, la Cour affirme qu'elle "would no longer consider that the right to marry enshrined in Article 12 must in all circumstances be limited to marriage between two persons of the opposite sex" (par. 61). La juridiction européenne revient ainsi sur sa décision Parry c. Royaume-Uni du 28 novembre 2006, dans laquelle elle soutenait que l'"[a]rticle 12 [...] enshrines the traditional concept of mariage as being between a man and a woman". Empruntant une formulation négative qui obscurcit le propos, elle ajoute que "it cannot be said that Article 12 is inapplicable to the applicants' complaint" (par. 61). Il semble logique d'en déduire que, aux détours de formules quelque peu alambiquées, la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît que l'article 12 de la CEDH couvre le droit au mariage des homosexuels !! La conclusion contraire ne s'imposerait que si la Cour avait affirmé que l'article 12 n'est pas applicable en l'espèce. Toutefois, en l'absence d'un consensus européen au sujet du mariage entre les personnes du même sexe, la Cour juge que la question relève pour l'heure de la marge d'appréciation des autorités nationales (par. 58 et 61-62). Partant, la juridiction des droits de l'homme conclut que "Article 12 of the Convention does not impose an obligation on the respondent Government to grant a same-sex couple like the applicants access to marriage" (par. 63). La réponse à la question de l'existence d'un droit au mariage pour les couples homosexuels est donc assurément ambigüe. Construite autour de deux affirmations contradictoires qui témoignent d'une autolimitation de la Cour en l'absence d'un consensus européen suffisant, la réponse laisse à n'en point douter la porte ouverte à des évolutions ultérieures. Sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la CEDH, les requérants se prétendaient victimes d'une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle. La juridiction européenne admet que les couples homosexuels se trouvent dans une situation analogue à celle des couples hétérosexuels pour ce qui est de leur besoin de faire reconnaître légalement leurs relations. Elle reconnaît aussi que la notion de "vie familiale" englobe la relation homosexuelle des requérants (par. 94 : "the Court considers it artificial to maintain the view that, in contrast to a different-sex couple, a same-sex couple cannot enjoy family life for the purposes of Article 8. Consequently the relationship of the applicants, a cohabiting same-sex couple living in a stable de facto partnership, falls within the notion of family life, just as the relationship of a different-sex couple in the same situation would"). Il s'ensuit que les articles 8 et 14 sont applicables en l'espèce. Invoquant la nécessité d'interpréter les dispositions de la Convention de manière cohérente, la Cour juge cependant que la combinaison des articles 14 et 8 n'impose pas aux Etats de reconnaître le droit pour un couple homosexuel de se marier puisqu'une telle obligation ne découle pas de l'article 12 (par. 101 : "[h]aving regard to the conclusion reached above, namely that Article 12 does not impose an obligation on Contracting States to grant same-sex couples access to marriage, Article 14 taken in conjunction with Article 8, a provision of more general purpose and scope, cannot be interpreted as imposing such an obligation either"). La Cour répond enfin à l'argument des requérants selon lequel un Etat qui choisit d'accorder aux couples de même sexe une autre forme de reconnaissance légale, doit leur conférer un statut parfaitement analogue au mariage. Les juges ne sont pas convaincus par cet argument parce que la marge d'appréciation qu'ils reconnaissent aux Etats en raison de l'absence de consensus sur ce point autorise ces derniers à choisir les droits et obligations qu'ils reconnaissent aux couples homosexuels (par. 108-109). La Cour ne conclut donc ni à la violation de l'article 12, ni à la violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention. par Mihaela Ailincai Le Professeur Théodore Christakis a posté une note sur cet arrêt le 30 juin 2010.
Pour lire la note, cliquer ici. ____________________________
(1) L'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule que "[l]e droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice".
Date
- Imprimer
- Partager
- Partager sur Facebook
- Share on X
- Partager sur LinkedIn