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Le 8 mars 2012
Dans deux arrêts de chambre non définitifs, Meln?tis c. Lettonie (requête n° 30779/05) et Samaras et autres c. Grèce (requête n° 11463/09), rendus le 28 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de se prononcer, encore une fois, sur la question relative aux conditions de détention et aux traitements inhumains des prisonniers.
Dans la première affaire, M. Meln?tis fut placé en détention provisoire à la prison de Valmiera, le 9 mai 2005, pour résistance à un fonctionnaire Il allègue que les autorités pénitentiaires refusaient de lui fournir tous les moyens de nécessité d’une vie quotidienne (savon, papier toilette, brosse à dents ou dentifrice). De plus, M. Meln?tis était contraint de faire ses besoins naturels devant les autres détenus de la cellule, sachant que la cloison entre les toilettes et le reste de la pièce était absente. Le gouvernement affirme que la cellule de M. Meln?tis était séparée du reste de la pièce par un paravent. Quant à la deuxième affaire, elle concerne douze ressortissants grecs et un ressortissant somalien, détenus à la prison de Ioannina durant des périodes allant de dix mois à plus de quatre ans et comprises entre le 1er mars 2007 et aujourd’hui. Les requérants se plaignent qu’ils séjournent et dorment dans des dortoirs et cellules exigus et surpeuplés. Selon les requérants : « Aucun dortoir ne dispose de chaises ou de table et du moindre espace libre ; les détenus, qui passent dix-huit heures confinés dans les dortoirs, sont obligés de rester sur leurs lits ; plusieurs d’entre eux souffrent de maladies graves pour lesquelles ils ne sont pas traités et ceux qui sont encore en bonne santé risquent d’être contaminés du fait de la promiscuité régnant à la prison d’Ioannina. Quant aux malades, ils ne bénéficient pas de soins satisfaisants à l’intérieur de la prison ; les toxicomanes, les détenus qui souffrent de maladies chroniques et ceux dont l’état nécessite une opération ne font l’objet d’aucun soin. » Le gouvernement, pour sa part, affirme que la surpopulation et l’entassement des détenus sont un problème réel pour la prison de Ioannina, mais que les dortoirs sont suffisamment aérés et éclairés par la lumière naturelle. En outre, le gouvernement souligne qu’en l’espèce, les requérants travaillant pendant la durée de leur détention ne vivaient pas exclusivement dans les dortoirs, mais également dans les ateliers, le réfectoire et la cour de la prison. Par conséquent, les requérants « n’auraient pas subi les conséquences de l’état de surpopulation de la prison à un degré tel que leur séjour pût être considéré comme ayant enfreint l’article 3 de la Convention ».
Les requérants, dans les deux affaires, allèguent avoir été victimes d’un traitement inhumain et dégradant en raison de leurs conditions de détention. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Sur la forme, la Cour déclare les deux requêtes recevables.
Sur le fond, en réponse aux arguments des parties et du gouvernement dans l’affaire Meln?tis, la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure[1] qui affirme que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quelle que soit la nature des agissements reprochés à la personne concernée. Selon la Cour : « The lack of personal hygiene products in detention for nearly five months is incompatible with respect for human dignity. The applicant was unable to keep up his personal hygiene on a daily basis for a prolonged period and he constantly felt dirty and humiliated. This clearly caused distress and hardship of a level that goes beyond the suffering inherent in detention°».
Dans l’affaire Samaras, la Cour précise les obligations susceptibles d’incomber à l’Etat sur la base de l’article 3. En effet, il pèse sur l’Etat de s’assurer que « tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate »[2]. Elle rappelle également qu’une « surpopulation carcérale grave » pose en soi un problème sous l’angle de l’article 3 de la Convention[3]. Cependant, la Cour affirme qu’elle ne saurait donner la mesure, de manière précise et définitive, de l’espace personnel qui doit être octroyé à chaque détenu aux termes de la Convention. Cette question dépendra de nombreux facteurs, tels que la durée de la privation de liberté, les possibilités d’accès à la promenade en plein air ou la condition mentale et physique du prisonnier. En réponse aux arguments du gouvernement, le juge de la Cour EDH a conclu que « même si la journée de travail était de huit heures, tous les requérants se retrouvaient après la fin de celle-ci pour le reste de la journée, vivaient dans les cellules surpeuplées, étaient obligés de manger sur leur lit et étaient privés de toute intimité, ainsi que de tout espace leur permettant de se distraire ou de faire de l’exercice ». Dans ces circonstances, la Cour estime que les conditions dans lesquelles les requérants ont été détenus ont atteint, d’une part, dans l’affaire Samaras, « le niveau minimum de gravité », et d’autre part, dans l’affaire Meln?tis, « the threshold of severity » requis pour constituer un traitement « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention.
Rahma Bentirou-Mathlouthi
Assistante - doctorante à la Faculté de Droit de l’Université de Neuchâtel
Chargée d'enseignement à Haute Ecole de Gestion ARC - Antenne Delémont
Membre du CESICE
[1] Notamment CEDH, Saadi c. Italie, 28 février 2008, Req. 37201/06, §127 ; CEDH, Labita c. Italie, 6 avril 2000, Req. 26772/95, §119.
[2] CEDH, Samaras et autres c. Grèce, Req. 11463/09 , §56.
[3] La Cour renvoie à sa jurisprudence : CEDH, Kalachnikov c. Russie, Req. 47095/99, Rec. CEDH 2002-VI.
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