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La CJUE se prononce sur la conformité au droit communautaire du caractère prioritaire de la QPC - par M. Ailincai

Groupe Liberté et Sécurité

Le 23 juin 2010

Dans un arrêt très attendu, la Grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne répond à deux questions préjudicielles posées par la Cour de Cassation française et valide sous réserve le nouveau mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité ...
CJUE, Grande Chambre, 22 juin 2010, Aziz Melki (C-188/10) et Sélim Abdeli (C-189/10) Dans un arrêt très attendu, la Grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne répond à deux questions préjudicielles posées par la Cour de Cassation française (Cass, 16 avril 2010, n° 10-40.002) et valide, sous réserve, le nouveau mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité. Elle juge que le caractère prioritaire du contrôle de constitutionnalité institué par la loi organique du 10 décembre 2009 ne contredit pas l'article 267 TFUE, à condition que les juridictions ordinaires soient libres : - de saisir la CJUE d'une question préjudicielle à tout moment (même à l'issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité) - d'adopter les mesures nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union - de laisser inappliquée, à l'issue de la procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l'Union. L'affaire concernait M. Melki et M. Abdeli, deux ressortissants algériens en situation irrégulière en France. En application de l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale, ils ont été contrôlés par la police dans une zone de 2O km près de la frontière franco-belge. Chacun d'entre eux a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d'une décision de maintien en rétention. Devant le juge des libertés et de la détention, les impétrants ont contesté la conformité à la Constitution de l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale. Le juge des libertés et de la détention a transféré la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation. Cette dernière explique que les requérants font valoir que l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale est contraire à l'article 67 § 2 TFUE, aux termes duquel l'Union « assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures ». Or, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution (1), l'Etat français est tenu de respecter le droit de l'Union. Dès lors, l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale serait contraire à la Constitution. La Cour de cassation considère que la disposition en question doit être appréciée tant au regard du droit de l'Union qu'au regard de la Constitution. Mais elle constate que la loi organique du 10 décembre 2009 organise la priorité du contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité. Elle en déduit qu'en application de ce texte, les juges du fond ne peuvent pas statuer sur la conventionnalité d'une disposition législative avant de transmettre la question de constitutionnalité. Aussi, estime-t-elle que le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité prive les juridictions ordinaires de la possibilité de poser immédiatement une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, en tant qu'il les contraint à accorder une priorité au contrôle de constitutionnalité des lois. Supposant que le Conseil constitutionnel pourrait effectuer un contrôle de conventionnalité (2), la Cour de cassation ajoute que « si le Conseil constitutionnel juge la disposition législative attaquée conforme au droit de l'Union européenne, [les juridictions nationales] ne pourront plus, postérieurement à cette décision, saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle », ni se prononcer sur la conformité du texte au droit de l'Union. En conséquence, la Cour de cassation décide de surseoir à statuer dans chacune de ces affaires et pose à la Cour de justice deux questions préjudicielles. La plus importante d'entre elles (3) porte sur le point de savoir si le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité est contraire à l'article 267 TFUE (4), en ce qu'il impose aux juridictions suprêmes de se prononcer d'abord sur la transmission au Conseil constitutionnel d'une question de constitutionnalité, y compris lorsque cette question porte sur la non-conformité à l'article 88-1 de la Constitution d'un texte de droit interne en raison de sa contrariété avec le droit de l'Union. La Cour de cassation demande donc si l'article 267 TFUE s'oppose au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité lorsque est également en cause la conformité avec le droit de l'Union de la législation à contrôler. Plus simplement, il s'agit de savoir quelles sont les exigences du droit de l'Union en ce qui concerne l'articulation du contrôle de constitutionnalité d'une part et du contrôle de conventionnalité d'autre part. La Cour de justice est donc appelée à préciser de quelle façon les juridictions nationales doivent concilier deux obligations potentiellement contradictoires, celle d'assurer la primauté et l'efficacité du droit de l'Union en écartant toute disposition de droit interne qui lui est contraire et celle d'accorder la priorité au contrôle de constitutionnalité. La Cour de justice commence par affirmer qu'un mécanisme interne, tel que la question prioritaire de constitutionnalité, ne saurait priver les juridictions nationales de la faculté qu'elles tiennent de l'article 267 TFUE de saisir la CJUE des questions d'interprétation du droit de l'Union. En effet, "le juge national [doit être] libre de saisir, à tout moment de la procédure qu'il juge approprié, et même à l'issue d'une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu'il juge nécessaire" (par. 52). La Cour ajoute que, si le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité empêche le juge national de laisser immédiatement inappliquée une disposition législative nationale qu'il juge contraire au droit de l'Union, "l'article 267 TFUE exige néanmoins que ledit juge soit libre, d'une part, d'adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union et, d'autre part, de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente, ladite disposition législative nationale s'il la juge contraire au droit de l'Union" (par. 53). Autrement dit, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel jugerait qu'une loi est conforme à la Constitution, les juridictions ordinaires pourraient néanmoins la laisser inappliquée s'il s'avère qu'elle est contraire au droit de l'Union. Dans la mesure où l'interprétation de l'article 62 de la Constitution par le Conseil constitutionnel va dans le même sens (5), il est possible d'en déduire que la CJUE valide la conformité au droit communautaire du caractère prioritaire de la QPC, tel qu'interprété dans l'ordre interne. La question se pose néanmoins de savoir quelle est l'attitude à adopter face à une loi de pure transposition d'une directive communautaire qui serait invalidée par le Conseil constitutionnel et disparaîtrait de ce fait de l'ordonnancement juridique interne, alors même que la directive, et donc la loi de transposition, seraient parfaitement valides au regard du droit de l'Union. C'est précisément l'hypothèse que la juridiction européenne ressent le besoin d'envisager. Sur ce point, la CJUE note que lorsque le contrôle de constitutionnalité aboutit à l'abrogation d'une telle loi, "la Cour pourrait, en pratique, être privée de la possibilité de procéder, à la demande des juridictions du fond de l'Etat membre concerné, au contrôle de la validité de ladite directive par rapport [...] aux exigences du droit primaire" de l'Union, et notamment par rapport aux "droits reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l'Union" (par. 55). Or, le caractère prioritaire du contrôle de constitutionnalité "ne saurait porter atteinte à la compétence de la seule Cour de justice de constater l'invalidité d'un acte de l'Union, et notamment d'une directive" (par. 54). C'est pourquoi, "[a]vant que le contrôle incident de constitutionnalité d'une loi" de ce type "puisse s'effectuer par rapport aux mêmes motifs mettant en cause la validité de la directive, les juridictions nationales, dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne sont, en principe, tenues, en vertu de l'article 267, troisième alinéa, TFUE, d'interroger la Cour de justice sur la validité de cette directive et, par la suite, de tirer les conséquences qui découlent de l'arrêt rendu par la Cour à titre préjudiciel, à moins que la juridiction déclenchant le contrôle incident de constitutionnalité n'ait elle-même saisi la Cour de justice de cette question sur la base su deuxième alinéa dudit article" (par. 56). En effet, dans cette hypothèse particulière, "la question de savoir si la directive est valide revêt, eu égard à l'obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable" (par. 56). Dans l'hypothèse particulière où une loi de transposition serait en cause, la Cour impose donc une priorité au mécanisme de renvoi préjudiciel par rapport à la QPC. ________________ 

par Mihaela Ailincai

 

(1) L'article 88-1 de la Constitution dispose que « la République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.

(2) Dans sa décision n° 2010-605 du 12 mai 2010, le Conseil constitutionnel confirme sa jurisprudence IVG  de 1975 en affirmant que le contrôle de la compatibilité des lois avec les engagements internationaux de la France incombe aux juridictions administratives et judiciaires. Pour sa part, il se préoccupe uniquement du contrôle de la conformité des lois à la Constitution (cons. 11).

(3) La seconde question préjudicielle porte sur la conformité de l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale avec l'article 67 TFUE.

(4) L'article 267 TFUE donne à la CJUE la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des traités ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes de droit dérivé. Il précise que "[l]orsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour".

(5) Dans sa décision n° 2010-605 du 12 mai 2010, le Conseil constitutionnel affirme que "l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution" (cons. 13). Il ajoute "qu'il ressort des termes mêmes de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d'examen est strictement encadrée, peut, d'une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu'il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l'article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans ce litige". Enfin, il note que "l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu'elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de l'obligation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne".

 

 

Date

Le 23 juin 2010

Publié le 20 mai 2021

Mis à jour le 12 juillet 2023